Anne Josseau et l’élan singulier d’un Touraine Chenonceaux engagé

5 octobre 2025

Le Touraine Chenonceaux : une appellation en quête d’identité

L’appellation Touraine Chenonceaux, érigée en AOC en 2011, demeure l’une des perles confidentielles du vignoble ligérien. Son territoire s’étire sur seulement 26 communes (18 en Indre-et-Loire, 8 dans le Loir-et-Cher), de part et d’autre du Cher, autour du joyau architectural du même nom. La surface totale consacrée à l’appellation oscille autour de 120 hectares, si l’on en croit les chiffres de l’INAO, ce qui en fait une enclave à l’échelle des grandes AOC françaises.

Le cahier des charges exige une grande rigueur :

  • Pour les blancs : seule la vinification de sauvignon blanc est autorisée, avec des rendements limités à 60 hl/ha, récolte manuelle obligatoire, élevage sur lies pendant au moins 6 mois.
  • Pour les rouges : un assemblage majoritaire de côt (malbec) avec cabernet franc, rendement à 50 hl/ha, vieillissement contraint et sélection parcellaire poussée.

Cette rareté et cette exigence témoignent d’un vrai positionnement qualitatif, loin de la production de masse – une démarche saluée par de nombreux observateurs, comme la Revue du Vin de France ou Terre de Vins, souvent enthousiasmés par le potentiel encore sous-exploité de ce cru.

Anne Josseau : un parcours de retour aux origines

Au cœur de la renaissance discrète mais assurée de Chenonceaux, Anne Josseau incarne cette génération de vignerons décidés à conjuguer racines ligériennes et ouverture d’esprit. Issue d’une famille de vignerons à Thésée, elle s’installe à son compte en 2013 après un riche parcours hors des vignes, entre agronomie et gestion de projets viticoles. Sa micro-exploitation, aujourd’hui à peine 6 hectares, est installée sur des pentes argilo-siliceuses très caractéristiques du secteur, où l’exposition et la ventilation créent des maturités lentes, propices à la complexité aromatique.

Ce qui distingue Anne Josseau ? Un engagement farouche pour :

  • La viticulture biologique – certifiée depuis 2017, son domaine a totalement banni les herbicides chimiques et favorise la vie des sols (travail du sol, enherbement, traitements phytosanitaires naturels).
  • L’observation et le respect du rythme de la nature, avec des vendanges souvent décalées pour préserver la fraîcheur, et des interventions minimales en cave.
  • La vinification parcellaire, qui consiste à isoler chaque terroir et à en exprimer la personnalité jusque dans la bouteille.

Portrait discrètement relayé par La Nouvelle République ou Le Rouge & le Blanc, Anne Josseau fait partie de ces vigneronnes dont la notoriété grandit surtout grâce au bouche-à-oreille d’amateurs éclairés, fréquentant les salons ligériens ou certains restaurants parisiens de renom.

N°17 : un vin ligérien à part entière

Le numéro 17 n’est pas une simple cuvée numérotée. Il renvoie à une parcelle identifiée sur le cadastre du domaine, située sur une terrasse de graves et d’argiles rouges, face au Cher. Ce sont ces sols, parmi les plus caillouteux du secteur de Thésée, qui impriment au vin une signature minérale et une tension caractéristique.

Le millésime 2019, souvent commercialisé, se distingue par :

  • Un rendement autour de 38 hl/ha (bien en deçà de l’AOC, gage de concentration)
  • Une récolte très mûre, débutée mi-septembre, mais menée rapidement pour préserver l’acidité naturelle du sauvignon
  • Une fermentation lente, via levures indigènes, sans aucun ajout de bois pour laisser place à la pureté variétale

L’élevage sur lies fines, pendant 9 mois, a permis d’affiner la texture tout en développant des arômes d’agrumes confits, de fleurs blanches et de silex. Le nez est subtil, presque aérien, mais la bouche frappe par une tension ciselée, une finale salivante, typique de certains grands blancs de Loire. Un vin à l’équilibre démonstratif, mais jamais démonstratif, pour reprendre une formule de la RVF.

Analyses sensorielles et reconnaissance

La cuvée N°17 a reçu, dès sa première sortie, de remarquables échos :

  • Médaille d’Or au Concours des Vins du Val de Loire 2023
  • 16,5/20 attribué par Benoît Lavigne (Le Rouge & le Blanc), qui salue « un blanc racé, long, au fruité précis et à la finale saline »
  • Distribution auprès de quelques cavistes spécialisés à Tours et Paris, mais aussi sur certaines belles tables étoilées de l’Ouest comme « Les Hauts de Loire » ou « L’Aigle d’Or »

Par-delà le palmarès, le vin d’Anne Josseau séduit d’abord par sa personnalité : une interprétation du sauvignon blanc élégante et digeste, loin des effets variétaux caricaturaux. La fraîcheur domine, mais sans maigreur ; la minéralité équilibre un fruité presque solaire. La cuvée se distingue aussi par sa capacité à bien évoluer sur 4 à 6 ans, avis confirmé par plusieurs dégustateurs professionnels réunis lors des "Dégustations d’hiver de l’Association des Sommeliers de Loire".

Plus qu’un vin : miroir d’enjeux ligériens

L’histoire du Touraine Chenonceaux d’Anne Josseau illustre quelques dynamiques du vignoble ligérien :

  • Le retour à des micro-cuvées identitaires, ancrées sur des terroirs précis et non sur de vastes assemblages anonymes
  • L’essor d’un nouveau visage vigneron, féminin et engagé, souvent pionnier en matière de respect de l’environnement
  • La quête d’élégance, de pureté et de longévité pour les vins blancs de Loire, qui cherchent à rivaliser avec les meilleurs crus français et européens

Circuite court, sincérité du geste, refus de toute exubérance technique : ce sont ces valeurs qui font rayonner les vins ligériens aujourd’hui sur les cartes de sommeliers en quête de vins singuliers. Le N°17 n’est ni une star médiatique ni un vin à la mode ; il incarne ce mouvement souterrain qui refonde l’identité ligérienne tout en douceur.

Ancrage territorial et ouverture gastronomique

Pas étonnant, dès lors, que les sommeliers affectionnent ce Touraine Chenonceaux pour ses accords subtils :

  • Poissons de Loire simplement préparés (sandre, brochet au beurre blanc léger)
  • Charcuteries fines d’Indre-et-Loire
  • Fromages de chèvre affinés (Sainte-Maure-de-Touraine, Valençay)
  • Ou, plus téméraires, un tartare de lieu jaune et salicornes

Une bouteille à placer en cave, mais aussi sur une belle table… ou à l’ombre d’un tilleul, un soir d’été.

Perspectives : la Loire qui ose et qui inspire

Retenir le parcours du Touraine Chenonceaux N°17 d’Anne Josseau, c’est comprendre que le Val de Loire ne se résume pas à ses cuvées classiques ni à ses grands domaines médiatiques. Au contraire, la région vibre d’initiatives individuelles, de courage, de foi dans les sols et dans le temps long. La filière ligérienne, bien que toujours soumise aux défis climatiques (gel 2021, sécheresse 2022) et à l’instabilité des marchés (baisse des volumes exportés de 6,3% en 2022 selon InterLoire), n’a jamais cessé de se réinventer à travers de tels projets d’auteur.

Les caves où s’expriment aujourd’hui le meilleur de la Loire sont souvent les plus discrètes. Le cas du N°17 vient rappeler que la « lumière » du Val de Loire dépend d’abord d’hommes et de femmes qui écoutent leurs terres et acceptent d’avancer à contre-courant. À travers ses quelques milliers de flacons par an (moins de 4000 sur le dernier millésime), Anne Josseau délivre un message simple : la Loire peut rivaliser avec les plus beaux crus, si elle ose affirmer ses spécificités. Voilà ce qu’il faudrait ne pas oublier du N°17 : son humilité, son intensité, et la promesse, pour tout amateur curieux, d’un vin de Loire véritablement vivant.

Sources : INAO, InterLoire, Revue du Vin de France, Le Rouge & le Blanc, La Nouvelle République, Association des Sommeliers de Loire.

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