Les Delesvaux : au cœur d’un Anjou qui inspire et bouscule le Val de Loire

15 juin 2025

Un couple, un domaine, un sillon dans les schistes de l’Anjou

Au fil de la Loire, certains noms s’imposent comme des éclats singuliers dans la mosaïque du vignoble. Celui de Catherine et Philippe Delesvaux, vignerons à Rablay-sur-Layon, s’est gravé parmi les plus marquants de l’Anjou et plus largement de la Loire, tant par la singularité de leur engagement que par l’énergie de leurs vins. Fondé en 1983 sur la rive droite du Layon, le domaine porte haut les couleurs d’une viticulture respectueuse, nourrie d'exigence, et ancrée dans un patrimoine géologique fascinant.

Mais pourquoi cette adresse compte-t-elle parmi les plus emblématiques du Val de Loire ? Il suffit de regarder le parcours atypique du couple, la philosophie qu’ils infusent à leurs vignes et à leur chai, et la façon dont leurs cuvées, des liquoreux d’anthologie aux rouges cristallins, incarnent à la fois la mémoire et la vitalité du vignoble ligérien.

L’éloge du terroir ligérien : diversité des sols et respect du vivant

Une géologie qui chuchote l’histoire

Ce qui s’invite d’abord dans le verre des Delesvaux, c’est la force des sols de l’Anjou noir. Le domaine s’épanouit sur 13 hectares, essentiellement situés sur des schistes bruns et gréseux, parentés de la formation « Grand Ensemble Schisto-Gréseux » du Massif armoricain. Cette minéralité confère aux vins une tension, une trame inimitable. Le Chenin, cépage-roi que le couple élève patiemment, s’accorde parfaitement à cette matrice géologique.

  • La cuvée « Les Clos » naît sur un coteau orienté plein sud, avec des vignes d’environ 55 ans.
  • « La Montée de l’Epine » jaillit d’un secteur plus haut, sur schiste altéré, dévoilant une expression racée et saline du Chenin.
  • Le Layon, affluent capricieux de la Loire, veille à l’équilibre hydrique du vignoble comme un pendule naturel.

(Source : Les Dossiers du Vin, Terre de Vins, Fédération Viticole Anjou)

Pratiques biologiques et respect des rythmes naturels

Les Delesvaux font figure de pionniers de la viticulture labellisée bio dans la vallée, certifiés depuis 2006, mais à l’œuvre bien avant. Ils appliquent des principes exigeants :

  • Zéro herbicide, enherbement naturel partiel pour préserver la vie des sols.
  • Taille douce, adaptée à chaque parcelle, pour maintenir la vigueur des ceps les plus âgés.
  • Préférences pour les traitements biologiques et le respect strict des cycles naturels.
  • Rendements maîtrisés, souvent en deçà des maxima des appellations, parfois à moins de 20 hl/ha sur certains liquoreux.

Cette philosophie s’incarne dans la devise du domaine : « Le vin ne se fait pas, il s’accompagne ».

(Source : France Culture, émission « On ne parle pas la bouche pleine » du 8/02/2015 ; Fédération Bio de l’Anjou)

Des liquoreux d’exception, entre histoire et éclats contemporains

Naissance sous le signe de la pourriture noble

L’Anjou et, plus encore, le Layon, c’est la terre d’élection du chenin botrytisé. Les Delesvaux excellent dans la vinification de ces vins moelleux et liquoreux, qui firent jadis la réputation mondiale du bassin angevin. Leur secret : beaucoup de patience et un travail d’orfèvre lors des tries successives.

  • Le « Coteaux du Layon » attire l’attention des guides dès les années 1990 : la cuvée « SGN » (Sélection de Grains Nobles) a notamment obtenu 100 points Parker pour le millésime 1997, une première dans la région.
  • La concentration naturelle des raisins, surmaturés sur souche, donne des sucres résiduels élevés (souvent 120 à 250 g/l pour la SGN), parfaitement intégrés grâce à une acidité naturelle vertigineuse.
  • Les liquoreux du domaine présentent souvent une proportion importante de grains atteints de pourriture noble (Botrytis cinerea), élaborés sans additifs œnologiques superflus.

Derrière la puissance et le velours, l'extrême précision aromatique : cire d’abeille, coing, tilleul, pâte de fruit, marmelade, épices… Ces arômes, ciselés année après année, font aujourd’hui référence, et nombre d’amateurs y voient de grandes bouteilles de garde, dignes des plus prestigieuses AOC liquoreuses nationales.

(Source : Robert Parker Wine Advocate, La Revue du Vin de France)

Un modèle de modernité et d’accès

Au Domaine Delesvaux, le liquoreux s’offre aussi dans un registre moderne, moins sucré, plus tendu, parfois proche d’un blanc sec dans l'esprit, ce qui fait écho à l’évolution de la demande. En témoignent plusieurs cuvées parcellaires ou d'assemblage, conçues pour illustrer la polyvalence du Chenin :

  • « Feuille d’Or », demi-sec opulent mais vibrant de fraîcheur.
  • Lot ponctuel de Quarts de Chaume, sur 1,2 hectare classé Grand Cru en 2011 (source : INAO), autrefois monopole du prestigieux vignoble royal.

Les Delesvaux participent ainsi au renouvellement de l’image du liquoreux, trop longtemps cantonné à l’occasion rare, pour en faire un vin pluriel, vivant, composant des accords inattendus ou accompagnant la cuisine d’aujourd’hui.

Un engagement écosystémique et une vision militante

Le vignoble, territoire vivant et liens humains

Dans leurs choix, Catherine et Philippe Delesvaux voient plus loin que le chai et la parcelle. Leur domaine se veut acteur du tissu rural, acteur de la préservation des paysages et du dialogue entre producteurs, consommateurs et institutionnels.

  • Création d’un « chais ouvert » : le domaine a très tôt organisé des visites pédagogiques, pour ouvrir la compréhension de la vigne et du vin à tous.
  • Soutien de l’association Terre de liens et implication dans la défense du foncier agricole en Maine-et-Loire.
  • Initiatives locales de replantation de haies et de maintien de la faune auxiliaire.

En 2012, Philippe Delesvaux a été co-initiateur, avec d’autres vignerons, du mouvement « Vignerons en développement durable », preuve d’une vision qui conjugue responsabilité environnementale et transmission.

(Source : Vignerons en Développement Durable, Ouest-France, Liger Club)

Des ambassadeurs complexes d’un Anjou réinventé

Leur parcours inspire de nombreux jeunes vignerons. Plusieurs figures montantes ayant été formées, accompagnées ou simplement encouragées chez les Delesvaux, perpétuent à leur tour une vision novatrice de l’Anjou. Ce rayonnement, quasi organique, dépasse la simple production pour irriguer l’âme collective du Val de Loire.

La reconnaissance critique et l’intégration dans l’élite ligérienne

Un domaine salué en France et à l’international

Les distinctions pleuvent sur le travail de Catherine et Philippe Delesvaux depuis plus de vingt ans :

  • Guide Vert « La Revue du Vin de France » : 2 étoiles depuis 2015, mention « incontournable » dans l’Anjou.
  • Vins exportés dans plus de 15 pays, de l’Allemagne au Japon, Ambassadeurs du Chenin d’Anjou outre-Atlantique (source : InterLoire).
  • Des millésimes régulièrement cités parmi les références mondiales pour les liquoreux – et une rare bouteille ayant dépassé les 1 000 €/flacon sur le marché secondaire (source : iDealWine, 2018 pour le SGN 1997).

Dans la lignée des grands domaines ligériens

Si le nom Delesvaux côtoie désormais ceux de Clos Rougeard, Nicolas Joly, Richard Leroy ou Mark Angeli, ce n’est pas un hasard. Il témoigne, outre l’excellence, d’un esprit de clan (parfois frondeur), soucieux d’indépendance autant que de collégialité, et acteur permanent de la transmission ligérienne.

Une signature intemporelle, écho du Val de Loire

Goûter aux vins de Catherine et Philippe Delesvaux, c’est remonter le temps autant que regarder vers demain : un Layon d’aujourd’hui, à la fois pur et vibrant ; une mosaïque de terroirs qui racontent mille histoires ; une viticulture qui conjugue éthique et ambition. Emblématique, non parce que leur nom s’affiche en lettres d’or, mais parce que l’empreinte qu’ils laissent, discrète et lumineuse, incarne l’esprit tout entier du Val de Loire : diversité, humilité, endurance et élégance.

Leur trace dans le paysage et dans les verres laisse présager ce que sera l’Anjou du XXIe siècle : un vignoble constamment réinventé par ceux qui le font vivre — pour le plaisir de ceux qui le partagent.

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