Les nouveaux cépages résistants : une révolution discrète dans les vignobles ligériens

31 octobre 2025

La Loire face au défi du changement climatique : pourquoi les cépages résistants ?

Dans les paysages du Val de Loire, la vigne dialogue depuis des siècles avec le fleuve, les brumes et la lumière. Mais depuis la fin des années 1990, un acteur inédit perturbe cet équilibre : la montée irrésistible des températures, la pression des maladies cryptogamiques et la raréfaction des interventions chimiques. Face à ces mutations, le vignoble ligérien ne se contente plus de ses cépages historiques. Discrètement, il ouvre ses rangs à des variétés nouvelles, dites « cépages résistants » ou « PIWI » (acronyme allemand pour Pilzwiderstandsfähig, « résistant aux champignons »), forgés pour survivre à l’oïdium, au mildiou et à la sécheresse croissante.

Le sujet, longtemps tabou dans les AOC, est désormais sur la table : quels cépages résistants composent aujourd’hui le patrimoine viticole ligérien, et surtout, dans quelles appellations leur présence est-elle désormais officiellement autorisée ?

Définition : Cépages résistants, une génétique au service de la vigne durable

Un cépage dit « résistant » associe, par croisements naturels ou techniques de sélection variétale, la génétique des vitis vinifera (l’espèce traditionnelle européenne) et celle d’autres espèces de vignes sauvages, américaines ou asiatiques. L’objectif : transmettre à la descendance une résistance accrue aux maladies – en particulier, le mildiou (Plasmopara viticola) et l’oïdium (Uncinula necator) – deux fléaux dont la pression explose avec la douceur du climat ligérien. Selon l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), ces cépages permettent de réduire de 60 à 90 % le nombre de traitements phytosanitaires (Source : IFV, 2022).

Une évolution réglementaire majeure pour les appellations de Loire

Longtemps, le cahier des charges strict des AOC ligériennes a freiné l’intégration de ces cépages dans les assemblages. Mais la prise de conscience collective et la pression des vignerons, engagés en conversion bio ou face à la multiplication des aléas climatiques, a accéléré les choses. Deux textes majeurs ont infléchi la trajectoire :

  • La loi EGAlim (2018), qui vise à réduire l’usage des pesticides en France
  • La réforme européenne de la PAC (Politique Agricole Commune) 2022-2027, qui encourage l’adoption de plantes plus résilientes dans une logique de durabilité

Depuis 2018, le Catalogue officiel des espèces et variétés (CTPS), piloté par l’INRAE, inscrit chaque année de nouveaux cépages résistants, d’abord en « expérimentation », puis en « cépages d’agrément », ouvrant la voie à leur acceptation dans certaines AOC.

Les cépages résistants autorisés dans les AOC ligériennes à ce jour : état des lieux

L’intégration de cépages résistants dans le Val de Loire suit une logique progressive, encadrée par l’INAO et soumise à de nombreux tests sensoriels et agronomiques. Actuellement, plusieurs appellations du vignoble ligérien ont ouvert leur cahier des charges à ces variétés, parfois en expérimentation, parfois dans les assemblages à très petite échelle (en général, plafonnés à 5 ou 10 % de l’encépagement).

Focus sur les principales avancées et cépages autorisés :

  • Touraine, Cheverny, Valençay : En 2021, ces trois AOC du Loir-et-Cher et de l’Indre ont officiellement intégré dans leur cahier des charges la possibilité d’expérimenter deux cépages « résistants » :
    • Artaban (cépage rouge, obtention INRAE 2015)
    • Vidoc (cépage rouge, obtention INRAE 2015 également)

    Pour le blanc, plusieurs essais sont en cours avec Floreal et Voltis (Source : Vitisphère, 2021). Les premières vendanges « expérimentales » ont eu lieu en 2022, sur de très petites surfaces.

  • Coteaux d’Ancenis : Appellation dynamique du Pays Nantais, elle a intégré dès 2021 en expérimentation Floreal et Sauvignac, pour une première validation sur rosés.
  • Muscadet : Très impacté par la pression du mildiou, le vignoble expérimente l’introduction de Floreal (blanc) et Vidoc (rouge) dans certains lots en 2023, sans autorisation de commercialisation en AOC à ce stade mais une démarche officielle déposée auprès de l’INAO (Ouest-France).
Appellation Cépages résistants autorisés Statut
Touraine Artaban, Vidoc, Floreal, Voltis Expérimentation/Assemblage limité
Cheverny Artaban, Vidoc, Floreal Expérimentation
Valençay Artaban, Vidoc Expérimentation
Coteaux d’Ancenis Floreal, Sauvignac Expérimentation
Muscadet Floreal, Vidoc (en test) En cours d’évaluation

Focus : Portraits de quatre cépages résistants ligériens

  • Artaban :
    • Obtention par INRAE, commercialisé depuis 2018
    • Rouge, provenant de croisements entre Merlot et un hybride interspécifique
    • Résistance élevée au mildiou et à l’oïdium, maturité tardive (bon pour les années chaudes)
    • Arômes : fruits rouges acidulés, tanins souples
  • Vidoc :
    • Obtention INRAE, croisement entre Ugni blanc et un hybride
    • Rouge, structure tannique plus marquée qu’Artaban
    • Résistance élevée, notamment au mildiou : essais prometteurs en Sologne
    • Arômes : petits fruits noirs, épices, potentiel pour le vieillissement
  • Floreal :
    • Blanc, obtenu par croisement de Muscadinia rotundifolia (vigne sauvage) et vitis vinifera
    • Arômes floraux, acidité marquée, résistance élevée
    • Intégré dans les essais Touraine et Muscadet
  • Voltis :
    • Cépage blanc, croisement complexe
    • Profil aromatique évoquant le sauvignon blanc : agrumes, exubérance florale
    • Résistance au mildiou supérieure à 80 % confirmée par INRAE

D’autres variétés sont en observation, comme Sauvignac (blanc, au profil aromatique proche du sauvignon blanc mais sans parenté génétique directe), qui connaît ses premiers essais dans le Nantais et l’Anjou.

Comment sont-ils intégrés en AOC ligériennes ? La stricte législation derrière la transition

La réglementation AOC est drastique : même lorsqu’un cépage résistant est autorisé à titre expérimental, il ne peut excéder 5 à 10 % de la parcelle ou de l’assemblage total, selon l’appellation, et le vin obtenu ne peut revendiquer l’étiquette AOC que si le cépage est inscrit au cahier des charges définitif. Les lots issus des essais sont souvent vinifiés à part, étiquetés en Vin de France ou en IGP. Le but : observer leur comportement viticole et la typicité de leur expression en terroir ligérien.

Les jurys d’experts INAO analysent régulièrement les vins issus de ces échantillons : ils évaluent la résistance aux maladies, la complexité aromatique, la fidélité au style régional. Si l’expérience est concluante après plusieurs millésimes, le cépage peut être inscrit à titre définitif (Vigne et Vin).

  • Entre 2018 et 2023, en moyenne moins de 2 % de la surface totale du Val de Loire concernée par ces plantations (ViticultureLoire.fr).
  • La première cuvée ligérienne 100 % cépage résistant a été vinifiée en 2022, commercialisée hors AOC par le Domaine Perraud à Cheverny.

Quels enjeux pour le vignoble : résilience ou révolution ?

  • Environnement : La réduction drastique des traitements fongicides (jusqu’à 90 % en moins) change la donne pour les riverains, la vie du sol et le bassins versants. Le syndicat du Muscadet estime que chaque hectare équipé en cépage résistant économise en moyenne 1,5 t de produits phytosanitaires sur une décennie.
  • Économie : Pour nombre de jeunes vignerons, la possibilité d’obtenir l’AOC avec d’autres cépages est un gage de pérennité : moins de mortalité de pieds, moins de travail du sol, moins de passages de tracteur.
  • Culturalité : La Loire réussira-t-elle à conjuguer innovation agronomique et fidélité au goût des terroirs ? Les dégustations montrent des résultats hétérogènes : ici des arômes floraux ou fruités inédits, là une acidité différente ou une structure tannique inhabituelle. La question de l’acceptation par les consommateurs locaux reste entière. Certains domaines, comme les Vignobles du Paradis à Cheverny, organisent des portes ouvertes pour familiariser leur clientèle à ces nouveaux profils aromatiques.
  • Juridique : Certains puristes s’inquiètent de la dérive possible : d’où viendra la frontière entre l’identité régionale et la course à la résistance génétique ? L’INAO a posé des gardes-fous stricts, exigeant traçabilité, transparence et limitation drastique des proportions.

À noter, enfin, qu’au niveau national, près de 29 cépages résistants sont désormais inscrits au Catalogue officiel français (2024) – dont 7 spécifiquement développés pour la Loire (CTPS).

Les cépages résistants bientôt incontournables ?

En quelques années, la Loire s’est hissée au rang de laboratoire discret mais déterminé du vin de demain. Les cépages résistants hérissent encore certains esprits, mais ils n’incarnent qu’une facette – peut-être la plus structurelle – de la transition écologique et culturelle du vignoble ligérien. Déjà, certains vignerons dessinent des cuvées pionnières, levant le voile sur des arômes et des textures encore insoupçonnés.

Les prochaines révisions du cahier des charges d’appellation promettent d’accélérer l’essor de ces nouveaux cépages : une façon, pour la Loire, de demeurer fidèle à son esprit d’innovation, sans renier la profondeur de son histoire. Le tout, sans trahir la lumière singulière de ses terroirs.

Pour suivre l’évolution réglementaire et sensorielle de ces cépages résistants, le site Le Vin Ligérien en Lumière poursuivra ses enquêtes, au fil des saisons, des débats et des dégustations à venir.

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