Le secret singulier de Pierre Morgeau à Beaumont Haut-Poitou

3 juillet 2025

À la croisée des chemins du Val de Loire et du Haut-Poitou

Une lumière veloutée, des harmoniques de craie et une mémoire de vents : s’il est un lieu qui vibre autrement dans le concert ligérien, c’est bien la parcelle de Pierre Morgeau à Beaumont, sous la bannière de l’appellation Haut-Poitou AOC. À la frontière mouvante entre la vallée de la Loire et les confins poitevins, ce terroir trace une singularité qui intrigue autant qu’elle séduit, loin des sentiers battus des grandes cuvées ligériennes.

Pour comprendre cette originalité, il faut quitter l’esprit des grandes appellations continentales et accepter d’embrasser les nuances, les marges, les histoires de patience et d’adaptation. Car Pierre Morgeau, vigneron à Beaumont, incarne tout ce que le Haut-Poitou a de particulier : géologie affleurante, cépages révélateurs, climat d’équilibriste. Son vignoble, modeste en superficie mais expansif dans ses ambitions sensibles, compte parmi les curiosités du Grand Ouest viticole.

Un terroir géologique singulier au cœur des mosaïques poitevines

Beaumont, littéralement "belle colline", porte bien son nom. Ici, le vignoble de Pierre Morgeau repose sur d’anciens calcaires du jurassique, entaillés de veines d’argile à silex et de marnes, héritage des temps où la mer recouvrait ces causses poitevins (source : INAO, fiche AOC Haut-Poitou). Cette matrice minérale, bien différente des schistes angevins ou des tufs saumurois, offre des profils de vins insolites dans le paysage ligérien.

  • Des sols calcaires de type Bathonien : riches en coquillages fossilisés, ils jouent un rôle majeur dans la tension saline et la verticalité des vins blancs de Pierre Morgeau.
  • Argiles à silex : octroient une profondeur de texture, particulièrement appréciée sur les rouges issus du Cabernet Franc, leur conférant longueur et subtilité aromatique.

Ce terroir se distingue nettement des terroirs voisins d’Anjou ou de Touraine, plus sujets aux argiles lourdes ou aux sables. Les vignes y plongent profondément leurs racines, puisant complexité et équilibre en dépit des sécheresses estivales, qui n’ont rien à envier à leurs voisins méridionaux.

Cépages et encépagements : entre tradition et adaptation climatique

Le Haut-Poitou est une des rares appellations du Val de Loire où la palette ampelographique reste audacieusement ouverte. Traditionnellement, le Sauvignon Blanc règne en blanc (près de 69 % des surfaces en AOC selon l’ODG Haut-Poitou, 2021), tandis que le Cabernet Franc et le Pinot Noir représentent la majorité du rouge. Mais chez Pierre Morgeau, on note une audace typique : retour du Chenin, microparcelle de Grolleau, expérimentations autour du Sauvignon Gris.

  • Sauvignon Blanc : chez Morgeau, il donne des vins tendus, droits, relevés d’une note florale très fraîche (boisé absent, élevage sur lies fines), typique des calcaires.
  • Chenin Blanc : planté en 2016, il rappelle davantage la Loire voisine, mais garde ici une trame saline, voire une certaine sécheresse en bouche, qui le positionne à mi-chemin entre Anjou et Poitou.
  • Cabernet Franc : le cépage signature du Val de Loire mêle ici des notes de framboise, de poivre blanc, d’épices douces, avec un corps plus léger qu’à Saumur ou Chinon, clairement empreint de la fraîcheur poitevine.

Outre la diversité des cépages, Pierre Morgeau se distingue par des densités plus élevées à la plantation (6 000 pieds/ha contre 4 500 en moyenne ailleurs, d'après le syndicat local). Cet effort de densité favorise l’expression fine du sol, l’intensité des jus et la compétition racinaire, gage d’équilibre dans les années de chaleur.

Des conditions climatiques d’équilibriste

La parcelle de Morgeau à Beaumont compose avec un microclimat singulier. Modéré par la forêt de Moulière et les reliefs voisins, protégé des excès océaniques, il bénéficie d’un nombre de jours de chaleur en progression (+1,2 °C depuis 1985 selon Météo France 2023), mais sans la sécheresse chronique de la Vendée ou de l’Anjou noir.

Un tel climat favorise la maturation lente des raisins, un paramètre essentiel pour des cépages comme le Sauvignon ou le Cabernet Franc. On relève en moyenne, sur les parcelles de Morgeau, des vendanges lancées une semaine après la Touraine, mais avant l’Anjou. Ce décalage procure aux baies plus de complexité aromatique tout en préservant une fraîcheur acide, précieuse à l’heure du réchauffement.

  • Ventilation naturelle : le site bénéficie de courants d’air réguliers, qui limitent la pression des maladies cryptogamiques, permettant de réduire l’usage du cuivre au-dessous du seuil moyen régional (source : Observatoire Vital du Val de Loire, 2022).
  • Alternance d’ensoleillements : le vignoble, orienté nord-sud, reçoit une lumière diffuse, ce qui favorise la finesse aromatique plutôt que la concentration excessive.

Des pratiques viticoles ancrées et novatrices

Pierre Morgeau s’inscrit dans une dynamique de viticulture de précision réunissant pratiques culturales traditionnelles et innovations adaptées au contexte local. Un point de distinction majeur :

  • Travail du sol “à l’ancienne” : le désherbage est mécanique ou manuel. Les sols restent “vivants”, aérés, nourris de composts organiques locaux.
  • Sélections massales : plusieurs parcelles ont été replantées à partir de greffons prélevés sur les plus vieilles vignes du domaine (certaines âgées de 80 ans), favorisant la diversité génétique et l’adaptation millésime après millésime.
  • Protection raisonnée : réduction de 30 % de l’utilisation de fongicides sur cinq ans, relevée par le CIVB ; priorité au soufre et tisanes végétales.
  • Vendanges à maturité "juste" : pour capter la tension souhaitée des blancs tout en évitant le surmaturé (seuil d’alcool visé autour de 12,5 %), dans l’esprit d’un vin de gastronomie et non d’effet.

Une dernière note : Morgeau pratique l’élevage en cuves béton pour ses blancs, ce qui respecte la pureté minérale du lieu, et ose quelques essais d’amphores sur des microcuvées confidentielles.

Une histoire et un tissu humain spécifiques

L’appellation Haut-Poitou a connu, jusque dans les années 1950, des remembrements douloureux et un quasi-abandon de la culture de la vigne (source : Le Journal du Vin, n°87). Pierre Morgeau a repris les terres familiales en 2010 et a participé à la relance qualitative de l’appellation. Son engagement a inspiré d’autres vignerons dans cette zone de “quasi-pays”, où le vin a longtemps peiné à exister face aux céréales et à l’élevage bovin.

Aujourd’hui, la notoriété grandissante du lieu doit beaucoup à la synergie entre génération montante et transmission, entre attachés au terroir et nouveaux venus attirés par la diversité du Val de Loire. Un projet de “vinier commun” réunit ainsi plusieurs domaines voisins pour mutualiser outils et cuverie, dans un esprit d’entraide rare ailleurs (Source : ODG Haut-Poitou, 2022).

Des vins à la personnalité tranchée et confidentielle

La production de Pierre Morgeau se distingue dans le paysage par sa discrétion (moins de 8 000 bouteilles par an, réparties en trois cuvées principales), un choix assumé de rester artisan sur une zone encore confidentielle, loin du feu médiatique des grands noms de Loire. Les vins, régulièrement salués dans la presse spécialisée (ex. Guide Hachette des Vins 2022), se retrouvent sur les tables gastronomiques régionales et chez quelques cavistes parisiens initiés.

  • Les blancs  : tendus, floraux, citronnés, avec une minéralité saline et une trame discrète de fleurs blanches.
  • Les rouges  : épicés, fruités, dotés d’une fraîcheur poivrée et d’une réussite dans les petits millésimes.

Chaque cuvée revendique son identité, loin des stéréotypes fruités ou des effets de mode. L’acidité naturelle, la subtilité des extractions et la volonté de refléter la mosaïque du terroir sont perceptibles dans chaque verre.

L’avenir du lieu et de l’appellation : entre discrétion et promesses

Si la parcelle de Pierre Morgeau à Beaumont peut sembler minuscule sur la carte des vins de Loire, son influence s’étend par l’exemplarité de ses choix : tenir à la terre, croire en des cépages adaptés, préserver la biodiversité, dialoguer avec les jeunes vignerons. En 2023, le domaine participe à des essais de plantation de cépages résistants (Floreal, Vidoc), une rareté dans l’appellation.

Au fil des millésimes, le Haut-Poitou, longtemps regardé comme un parent pauvre du Val de Loire, s’affirme comme le laboratoire discret d’un renouveau — où chaque vigneron, à l’image de Morgeau, façonne des vins résolument singuliers, entre patrimoine et défi contemporain.

Prendre le temps de découvrir ce vignoble, c’est ouvrir une porte secrète de la Loire, loin des projecteurs, mais riche d’authenticité, de rencontres, et de paysages gustatifs à nuls autres pareils.

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