Savennières par Éric Morgat : la quintessence du Val de Loire révélée

18 septembre 2025

La Loire, berceau d’émotions et de contrastes

La vallée de la Loire, souvent surnommée le “jardin de la France”, cultive des paradoxes avec délectation. Ici, les brumes matinales caressent la vigne, les terroirs oscillent entre douceur angevine et puissance ligérienne, et les appellations, parfois discrètes, abritent des joyaux insoupçonnés. Savennières, perchée sur des coteaux schisteux dominant la Loire, incarne cette singularité. Longtemps recherchée par les amateurs éclairés, l’appellation connaît depuis deux décennies un renouveau sans précédent – et, à la pointe de ce mouvement, le nom d’Éric Morgat s’impose comme une figure de proue.

Éric Morgat, un retour aux sources ancré dans l’exigence

Entrer dans l’univers d’Éric Morgat, c’est rencontrer un homme pour qui le dialogue avec la terre prime sur les recettes toutes faites. Fils de vigneron angevin, il choisit pourtant de sortir du giron familial pour façonner sa propre aventure : en 1995, il acquiert 5 hectares de friche en surplomb de la Loire, sur la commune de Savennières. Rien n’était alors acquis dans cette AOC réputée pour ses chenins parfois farouches, ses rendements faibles, ses pentes escarpées, et surtout, sa réputation de vin “intellectuel”, peu accessible à l’époque.

Dès le départ, le leitmotiv d’Éric Morgat sera la recherche du caractère singulier du terroir. Pratiquant une viticulture certifiée bio (depuis 2012) et privilégiant les faibles rendements (30 hectolitres/ha en moyenne contre 40, voire 50 pour le plafond de l’appellation), il s’efforce de laisser parler la minéralité des sols de schistes. Mais il va plus loin : il reproduit une démarche parcellaire rarement poussée à ce niveau à Savennières, vinifiant séparément ses différentes cuvées, dont L’Enclos, Fidès et Arcane, qui sont devenues des repères pour les amateurs.

  • Première vendange : 1995
  • Superficie aujourd’hui : 7 hectares environ
  • Parcelle mythique : “L’Enclos”, 1,7 hectare clos de murs, plantée en 1910 et 1950
  • Certification : Agriculture biologique depuis 2012 (source : Domaine Éric Morgat)

Le Chenin interrogé, affranchi des clichés

Savennières, c’est le royaume du Chenin Blanc. Ici, ce cépage trouve une expression sans équivalent : droiture, énergie tellurique, complexité salivante… Pour Éric Morgat, le Chenin ne supporte ni l’artifice ni la facilité. Plutôt que de masquer les aspérités du millésime, il choisit le temps long : élevages sur lies de 18 à 30 mois, parfois en fûts de plusieurs vins, mises en marché très tardives pour laisser au vin toute la latitude de se déployer. Les amateurs reconnaissent cette “patience” qui confère aux vins une nervosité cristalline, un registre aromatique allant du coing à la pierre chaude, des amers nobles et, surtout, cette austérité lumineuse qui signe les plus grands Savennières.

Quelques faits marquants sur l’approche d’Éric Morgat concernant le cépage chenin :

  • Travail exclusivement en monocépage : 100% Chenin
  • Vendanges manuelles par tries successives : sélection minutieuse des raisins selon la maturité
  • Fermentations longues en levures indigènes, sans enzymage ni chaptalisation
  • Dégustation à l’aveugle des différents lots avant assemblage final — chaque cuvée garde ainsi sa signature propre
  • Volonté d’éviter le bois neuf imposant : “Le bois, c’est l’encadrement du tableau, pas le tableau lui-même” (propos d’Éric Morgat rapporté au Salon des Vins de Loire 2019)

Des terroirs qui s’expriment, des vins qui fascinent

Une des singularités de Savennières réside dans la diversité de ses sous-sols. Si le schiste domine, on trouve aussi sables, grès, rhyolite, et volcaniques. Morgat a réalisé dès le début un travail de prospection et de plantation pour exploiter au maximum cette mosaïque de terroirs :

  • Schistes gréseux : apportent tension et verticalité aux vins
  • Schistes rhyolitiques : confèrent matière, largeur en bouche, structure de garde
  • Parcelle L’Enclos : caractérisée par son enherbement naturel, gestion manuelle des sols et microclimat grâce aux murs entourant la vigne

Ce sont ces terroirs qui donnent naissance à des vins capables d’exister puissamment dans le temps. Nombre de dégustateurs notent que les “jeunes” vins d’Éric Morgat semblent parfois fermés pendant leurs trois à cinq premières années, puis s’ouvrent subitement pour donner des arômes de cire, d’infusion florale, de pâte de fruits blancs et une finale oscillant entre tension saline et saveurs miellées.

La longévité des Savennières du domaine s’accompagne d’une reconnaissance croissante :

  • La cuvée “L’Enclos” recommandée par La Revue du Vin de France parmi les vins blancs de garde incontournables (2018, 2019)
  • Note de 95/100 pour “Arcane” 2016 dans Decanter (2020)
  • Participations régulières du domaine aux dîners de gala ou dégustations verticales aux côtés d’autres chenins cultes du monde

Savennières et la Loire : un miroir de la diversité ligérienne

Pourquoi Éric Morgat serait-il plus emblématique qu’un autre vigneron de la vallée ligérienne ? Il ne faut pas se méprendre : il y a chez lui une volonté de représenter ce qui fait la grandeur du Val de Loire, à savoir :

  1. L’exigence de la typicité : plus qu’ailleurs, on retrouve chez Éric Morgat cette tension vers “l’identité terroir”, sans compromis à la mode ou à la facilité. Les vins ne cherchent pas à plaire à tout le monde, assumant leur austérité parfois juvénile, leur rythme propre.
  2. Une approche visionnaire mais fidèle au lieu : le domaine a accompagné le retour du bio dans les vignes de Savennières, partie prenante d’un mouvement plus large dans la Loire (environ 18 % de surface du vignoble de la Loire en bio ou en conversion selon InterLoire, 2023).
  3. La capacité à unir histoire et modernité : héritier du patrimoine ligérien, Morgat insuffle à chaque millésime son propre récit, trouvant un équilibre rare entre tradition et innovation.

Savennières est l’une des AOC de la Loire à la notoriété internationale malgré sa taille confidentielle (environ 130 hectares plantés, 35 vignerons), et ses vins s’exportent dans plus de 30 pays. Dans cet écrin, les cuvées d’Éric Morgat servent souvent de références lors des dégustations à l’aveugle organisées par la presse spécialisée (voir La Revue du Vin de France ou Decanter).

Un artisan du temps long : patience, parcellaire et reconnaissance internationale

Parmi les points qui rendent le travail d’Éric Morgat incontournable à l’échelle du Val de Loire, il faut souligner :

  • L’obsession du temps : sorties des vins jusqu’à 2-3 ans après la récolte, tandis que la plupart des Savennières sont commercialisés plus tôt
  • Des productions limitées : à peine 20 000 bouteilles par an, ce qui veut dire que chaque cuvée est attendue et s’arrache sur certains marchés (source : Terre de Vins)
  • Reconnaissance internationale : citons notamment les notes régulières au-delà de 94/100 chez Decanter, Wine Spectator ou encore Jancis Robinson, sans compter les récompenses dans les guides professionnels spécialisés

Côté prix, les Savennières d’Éric Morgat rivalisent aujourd’hui — toutes proportions gardées — avec les plus belles bouteilles de la Bourgogne ou de la Champagne sur certains millésimes (>60€ à la propriété pour les plus recherchées), ce qui reste exceptionnel pour un vin blanc issu de la Loire.

L’impact d’un vigneron sur toute une région

On ne mesure jamais assez combien l’audace d’un domaine peut influencer la perception d’une appellation et, au-delà, d’une région. L’engagement d’Éric Morgat a contribué, d’après de nombreux critiques et pairs, à rehausser la notoriété de Savennières, à attirer la nouvelle génération de vignerons vers l’agriculture biologique et la démarche parcellaire, mais aussi à stimuler la curiosité des amateurs vers des chenins secs loin des caricatures acidulées ou fatiguées.

La réussite du domaine illustre, mieux qu’aucun discours, l’immense potentiel des terroirs ligériens à livrer des vins capables d’émouvoir, d’interpeller et de se mesurer à la diversité du monde. À Savennières, les vins d’Éric Morgat résonnent comme un manifeste ligérien : délicatesse qui ne cède pas à la facilité, profondeur minérale, longévité et lumière. Rien de plus naturel, au fond, pour un vin né entre Loire et nuages.

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