Reflets du Val de Loire : François Delaunay, Bourgueil, Chinon et Saint-Nicolas-de-Bourgueil, miroirs vivants de leur terroir

9 juillet 2025

Comprendre le terroir ligérien : entre Loire, calcaire et sables

Le Val de Loire, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO sur 280 km, est la colonne vertébrale du vignoble ligérien. Ici, la Loire n’est jamais simple décor : elle imprime son influence sur le climat, façonne les coteaux, module l’ensoleillement et le drainage, bref, elle est actrice à part entière du vin.

Trois éléments clefs structurent le terroir de Bourgueil, Chinon et Saint-Nicolas-de-Bourgueil :

  • Le sol : tuffeau jaune ou blanc (craie tendre typique du Turonien), graviers de Loire, sables siliceux, argiles mêlées à de la silice.
  • Le climat : tempéré océanique avec influences continentales, variations marquées par les années.
  • Le cépage phare : le cabernet franc, ici appelé « Breton », qui révèle une expression tout en délicatesse, nervosité et parfum.

Selon la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire, Bourgueil compte plus de 20 types de sols recensés sur seulement 1400 ha (Vins Val de Loire). Cela donne la mesure de la complexité en jeu.

La mosaïque de Bourgueil : des alluvions à la butte

Géologie et diversité, une signature

Bourgueil s’étend sur la rive droite de la Loire, dominée par la forêt domaniale et les villages de pierre blonde. Deux grandes zones émergent :

  • Au nord, la « Butte de Bourgueil » (tuffeau du Turonien), qui produit des vins réputés pour leur potentiel de garde et leur droiture minérale ;
  • Au sud, la plaine de Varennes et ses alluvions, sables et graviers qui donnent des vins plus accessibles, fruités, souples, à déguster dans la jeunesse.

Cette structure se retrouve dans la production : selon l’INAO, environ 2/3 des cuvées de Bourgueil proviennent des plateaux de tuffeau ou d’argile à silex, le reste des terrains sablo-graveleux.

François Delaunay, témoin et acteur du terroir

François Delaunay, vigneron au Domaine du  Bel Air, figure centrale du renouveau ligérien, incarne à lui seul cette quête d’authenticité. Depuis sa reprise du domaine familial, chaque millésime vise à révéler la singularité de ses parcelles comme « Les Marsaules », célèbre pour son tapis de graviers sur argile et ses grappes raffinées, ou « Les Vingt Lieux Dits », dialogue patient entre parcelles et sous-sols.

Passé en agriculture biologique (certification en 2007, conversion progressive dès 2000), il est un pilier du retour aux fondamentaux : travail des sols à cheval, cuvaisons douces, élevages longs. Chaque cuvée n’est pas une copie : c’est un fragment, précis, de ce que Bourgueil peut exprimer.

Chinon : richesse du tuffeau, voix du cabernet franc

Une géographie sculptée par la Loire et la Vienne

Chinon s’étale sur 2400 ha, de part et d’autre de la Vienne. La ville s’adosse à la forteresse, les vignes s’accrochent aux pentes et aux terrasses. Trois grands types de sols se dessinent :

  • Les graviers, issus des terrasses alluviales ;
  • Les coteaux et plateaux argilo-calcaires (tuffeau blanc ou jaune) ;
  • Les sables à silex.

Ce relief offre un terrain de jeu idéal au cabernet franc : sur les alluvions, il donne des rouges souples, floraux, vignette d’été ; sur tuffeau, il prend profondeur et dimension, s’ouvrant avec le temps sur des notes fumées, parfois truffées.

Un héritage de nuances

D’après l’ODG Chinon, le terroir « tuffeau » représente près de 35% du vignoble de l’appellation. Il explique la capacité des meilleurs Chinon à traverser le temps (certains 1989 ou 1990 dégustés aujourd’hui forcent l’admiration par leur fraîcheur et complexité).

Le style ligérien s’affirme – fraîcheur, notes mentholées, tanins modérés – mais chaque vigneron, chaque microclimat, imprime sa touche. C’est tout le paradoxe Chinon : famille aromatique reconnaissable, mais toujours personnalisée.

Saint-Nicolas-de-Bourgueil : le chant des sables et des vents

Terre légère, vin aérien

Saint-Nicolas-de-Bourgueil, la « petite sœur » de Bourgueil, occupe une étroite bande de 1100 ha sur des sols plats et filtrants. Ici, la nappe phréatique n’est jamais loin : des alluvions sablo-graveleux dominent, avec de rares affleurements calcaires.

  • 80% des vignes reposent sur du sable ou gravier, le reste touche le calcaire (source : Syndicat de l’AOC)

Ce terroir donne naissance à des rouges tendres, légers, délicats – parfois qualifiés « de soif », mais qui, dans les secteurs mieux contrôlés, révèlent une pureté de fruit inégalée et une capacité à rendre la bouche vivante, gouleyante.

Les vents ligériens, fréquents sur ce plateau ouvert, participent à protéger la grappe de l’humidité et donc de la maladie. Ils expliquent en partie la vitalité des cultures biologiques sur cette appellation (près d’un tiers des surfaces fin 2023 selon l’INAO).

L’impact humain : vignerons du vivant et transmission ligérienne

Révéler plutôt que façonner

Le reflet du terroir n’est jamais automatique. Il suppose une philosophie – respect du sol, maîtrise des rendements, vinifications sobres permettant à la bouche de s’exprimer sans masque. La montée en puissance de la biodynamie ou de l’agriculture biologique dans ces appellations répond aussi à une recherche de transparence.

  • À Bourgueil, plus de 60 domaines certifiés bio fin 2023 – une progression fulgurante par rapport à 2010 (source : Agence Bio).
  • À Chinon, plusieurs figures comme Charles Joguet, Fabrice Gasnier ou Béatrice et Pascal Lambert ouvrent la voie à une viticulture d’expression, loin des standards d’avant.
  • À Saint-Nicolas-de-Bourgueil, le collectif de jeunes vignerons, souvent formés aux quatre coins de France, pousse encore plus loin l’exigence du vivant et du sol nu.

François Delaunay, ou la quête du juste équilibre

Delaunay, parmi ses pairs, incarne cette nouvelle génération portée non par la mode, mais par la conviction : il faut que le vin parle de son origine. La réduction quasi totale des intrants, le choix raisonné des dates de vendange, les élevages sur lies longues participent d’une volonté de laisser le vin « raconter » sa terre. Loin de la caricature, c’est ici un travail quotidien, attentif, sans dogmatisme.

Quelques chiffres clés pour saisir la réalité du vignoble

  • Bourgueil : 1400 ha, 8 millions de bouteilles/an (source : ODG Bourgueil).
  • Chinon : 2400 ha, dont 95% en cabernet franc (le reste en chenin blanc pour les rares blancs), 13 millions de bouteilles/an.
  • Saint-Nicolas-de-Bourgueil : 1100 ha, 5 millions de bouteilles/an, 153 vignerons (source : Syndicat de l’AOC).
  • Proportion d’export : entre 10 et 25% selon les domaines, signe d’une reconnaissance croissante à l’international (Vins Val de Loire).
  • Répartition des sols : sur Bourgueil, plus de 20% des vignes sont plantées sur la butte calcaire, le reste en plateau ou plaines sablo-graveleuses.

Terroir et vin ligérien : une partition constamment rejouée

Chinon, Bourgueil et Saint-Nicolas-de-Bourgueil livrent, chacun à leur manière, un dialogue essentiel entre paysage, climat, sol et savoir-faire. Ce qui frappe : la diversité infinie à partir d’un même cépage, le cabernet franc, porté par la main du vigneron et la patine du sol. Les vins, loin de toute standardisation, sont la mémoire liquoreuse d’un territoire composite, vivant et sans cesse interprété. La Loire façonne, inspire, transmet : chaque millésime recompose l’équilibre. À qui sait regarder et goûter, le terroir ligérien offre plus qu’un vin, un paysage à explorer verre en main.

En savoir plus à ce sujet :

Publications