Gilles Luneau à Gorges : Portrait d’un Terroir Ligérien Incarné

29 septembre 2025

Une signature muscadet au cœur du Vignoble Nantais

Entre ciel bleu lavande en hiver et brume liquide qui enlace les vignes au petit matin, Gorges ne ressemble à aucun autre village du Muscadet. Pourtant, bien des amateurs ignorent tout de ce cru confidentiel, de ces paysages vallonnés, de ces sols singuliers. Parmi ceux qui incarnent le plus fidèlement ce terroir, un nom s’impose aux connaisseurs : Gilles Luneau. Vigneron sincère, discret et passionné, il façonne depuis des décennies des vins qui sont autant de reflets de la terre ligérienne, de son histoire géologique et sociale. Décrypter ce que Gilles Luneau exprime à travers ses gestes, ses choix et ses cuvées, c’est remonter aux racines profondes du Val de Loire et comprendre comment le terroir ligérien se livre, par petites touches, à qui veut bien lui prêter attention.

Les terres de Gorges : un terroir identitaire, une mosaïque géologique

Avant de s’attarder sur le vigneron, il faut humer la complexité du terroir de Gorges. À l’ouest de la Loire, non loin de Nantes, cette commune s’étale sur une cinquantaine d’hectares couverts d’une mosaïque de sols datant du Massif armoricain. Ici, le granite dominateur du Muscadet laisse place à des gneiss, des orthogneiss, parfois des schistes, qui impriment au Melon de Bourgogne leur minéralité caractéristique. Cette diversité se retranscrit, selon le syndicat des crus locaux, dans des vins structurés et salins, avec des potentiels insoupçonnés de garde (Muscadet.fr).

  • Précocité des maturités : À Gorges, le Melon mûrit en général une semaine avant les secteurs plus argileux ou sablonneux, favorisant des profils plus étoffés et amples.
  • Influence des rivières : La Sèvre et la Maine tempèrent les écarts thermiques, favorisant une maturation progressive, propice à la fraîcheur et aux notes iodées.

Ce terroir des confins ligériens a longtemps vécu dans l’ombre, tandis que d’autres crus, à l’image de Clisson, bénéficiaient de la notoriété. Si aujourd’hui le cru Gorges incarne la montée en gamme du Muscadet, c’est parce que des figures comme Gilles Luneau ont su défendre ce paysage viticole avec une opiniâtreté silencieuse.

Gilles Luneau : l’homme derrière la vigne

Originaire de Gorges, Gilles Luneau porte dans ses gestes un héritage familial profond. Sur ses 9 hectares, il pratique une viticulture exigeante fondée sur l’écoute du vivant et la recherche d’authenticité. Installé au Domaine de la Gréserie, il n’a jamais hésité à remettre en question les méthodes du passé pour révéler la singularité ligérienne de son terroir.

  • Viticulture raisonnée : Gilles Luneau abandonne progressivement les traitements chimiques dès le milieu des années 2000, puis s’engage dans une conversion à l’agriculture biologique, certifiée depuis 2019.
  • Rendements maîtrisés : En choisissant la taille courte et la vendange à maturité optimale (autour de 40 hl/ha, contre 55 à 65 pour l'appellation générique Muscadet), il maîtrise la concentration naturelle de ses vins (La Vigne, 2019).
  • Vieillissement sur lie : Gilles est un fervent défenseur des longs élevages sur lies fines (minimum 24 mois, souvent 36 ou plus), apportant complexité et profondeur.

Dans ses chais, peu d’artifices : ni levurage, ni collage systématique ; l’épure ligérienne est la règle. Il donne au Melon de Bourgogne les moyens de s’exprimer sans filtre.

Une interprétation singulière du Melon de Bourgogne

Gilles Luneau ne prétend pas réinventer le Muscadet, mais le restituer dans son plus honnête refus du maquillage. Il travaille exclusivement le Melon de Bourgogne – cépage unique du Muscadet – persuadé que c’est dans l’expression la plus pure de ce cépage et de ses sols que réside l’identité ligérienne.

  • Fraîcheur minérale et volume en bouche : Les vins de Luneau se distinguent par leur équilibre entre tension saline et texture enveloppante. Les dégustateurs notent souvent des arômes de poire mûre, de zeste de citron, et surtout une fin de bouche persistante sur des notes d’amande crue et de pierre à fusil (Bettane & Desseauve).
  • Un style de garde : Le cru Gorges, sous sa main, développe admirablement la capacité de vieillir. Une cuvée 2014, dégustée en 2022, éblouissait par son intensité, sa fraîcheur mentholée et la noblesse de son oxydation maîtrisée (source : dégustation à l’aveugle, Le Rouge & le Blanc n°151).

Rares sont les vignerons à revendiquer aussi fermement l’expression du seul terroir par le Melon, sans recherche d’effets de style ou de boisé marqué.

Défenseur du cru Gorges : un engagement collectif et militant

Gilles Luneau ne cultive pas seulement sa propre vigne : il a joué un rôle clé dans la reconnaissance du cru Gorges comme l’un des 10 “Crus Communaux” du Muscadet, une distinction obtenue après près de 20 ans de combat collectif (reconnu officiellement en 2011, rapport INAO). Il a longtemps présidé ou animé le syndicat du cru, contribuant à définir un cahier des charges exigeant :

  • Vieillissement minimum sur lies de 24 mois
  • Rendement plafonné à 45 hl/ha
  • Parcelles uniquement sur gneiss, exclusion des sables et argiles lourdes

Cette démarche, loin d’être une simple quête de valorisation, visait à protéger la typicité ligérienne face à la standardisation. Gorges s’affirme désormais comme l’un des bastions de la montée en gamme du Muscadet, avec environ 20 vignerons pour un total annuel de 1 000 à 1 200 hectolitres (soit moins de 2% du Muscadet total, Vitisphere, 2021).

Une influence sur la dynamique régionale ligérienne

L’engagement local de Gilles Luneau a, par ricochet, favorisé un renouveau du regard porté sur le Val de Loire au sens large :

  • Redécouverte du potentiel de garde : Alors que le Muscadet fut longtemps bu “jeune”, le travail de Luneau et de quelques comparses (Luneau-Papin, Pépière…) remet au centre du jeu la notion de grand blanc de garde, stimulant toute la région à repenser le cycle de commercialisation.
  • Encouragement à la biodiversité : Son passage au bio et ses méthodes d’enherbement naturel ont inspiré de jeunes vignerons autour de Gorges et dans le Saumurois, qui y voient la preuve que l’on peut marier rentabilité et vivant.
  • Pont entre tradition et modernité : Gilles Luneau cultive la mémoire (assemblées de vignerons, défense des anciens outils, transmission), mais sait dialoguer avec la jeune génération sur les enjeux du changement climatique et du renouvellement des pratiques œnologiques.

Ce dialogue permanent nourrit la vitalité du vignoble ligérien tout entier, transformant Gorges d’“arrière-cour” du Muscadet en berceau d’idées.

Portrait sensoriel d’un vin ligérien sans fard

Déguster un Gorges signé Luneau, c’est parcourir à l’aveugle toute la palette du Muscadet, dépouillée de ses stéréotypes. À l’ouverture, le vin se livre parfois timidement, sur des senteurs d’agrumes, de pierre humide, puis vient une phase d’épanouissement :

  • Attaque vibrante, presque crayeuse
  • Bouche ample, mariant tension et gras subtil
  • Sillage iodé, note de fumée blanche et d’herbe sèche

Le millésime y imprime sa marque, mais toujours un fil conducteur : pureté, salinité, énergie. Les accords avec la gastronomie ligérienne (beurre blanc nantais, sandre grillé, fromages de brebis affinés…) s’y mythisent, tissant un lien authentique entre vin, terroir et table. Les sommeliers citent fréquemment le Gorges de Gilles Luneau dans des concours de dégustation à l’aveugle (cf. Revue du Vin de France, juillet 2022), gage d’une reconnaissance désormais nationale.

Entre ombre et lumière : héritier et passeur du Val de Loire

Si Gilles Luneau reflète si bien le terroir ligérien, c’est qu’il s’inscrit dans sa double nature : ombre discrète et lumière patiente, secret jalousement gardé et mouvement d’ouverture. À travers lui, le Val de Loire se dessine dans sa complexité : vivant, mouvant, à la recherche du vrai. Par ses choix exigeants autant que sa fidélité à ses racines, il propose aux curieux une lecture sincère du Muscadet, porte ouverte sur l’âme ligérienne la plus profonde.

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