Nichée au sud du Berry, la petite appellation de Châteaumeillant n’attire pas la lumière aussi aisément que ses voisines plus célèbres. Pourtant, elle porte en elle tout le charme d’une terre qui a traversé les âges : dès l’Antiquité, la vigne y racinait déjà, foulée par les Gaulois, avant des siècles de soubresauts et de renaissance (source : AOC Châteaumeillant, site officiel).
Mais au début du XXIe siècle, le vignoble bruisse d’inquiétudes. Les années 2000 voient l’érosion du nombre de viticulteurs, une image brouillée, la difficulté à exister entre Berry et Limousin, Loire et Bourgogne. L’obtention tant attendue de l’AOC en 2010 (JO du 14 octobre 2010) est déjà une victoire, mais insuffisante sans dynamisme collectif. C’est dans cette atmosphère mêlée d’espoirs et de doutes qu’émerge, le 4 juin 2014, un « Pacte pour le vin à Châteaumeillant », signé à la Maison du Vin, lieu ô combien symbolique.
Ce 4 juin, sous les vieilles poutres de la Maison du Vin, producteurs, négociants, élus locaux et acteurs institutionnels (notamment le Conseil Départemental, la Région Centre-Val de Loire, l’INAO) s’assoient à la même table. Objectif : fixer des engagements majeurs pour faire rayonner le vin de Châteaumeillant tout en préservant ses traditions.
La signature du pacte se fait sur la base d’une charte rédigée en six volets très précis, incluant des engagements individuels (exploitations) et collectifs (syndicat, interprofession).
Le vignoble de Châteaumeillant couvre moins de 100 hectares, sur huit communes, avec une production confidentielle (un peu plus de 4500 hl/an, source : Comité national INAO).
Singularité rare en Val de Loire : le vignoble fait la part belle à deux cépages, le gamay qui domine, apportant fraîcheur et croquant, et le pinot noir pour la structure. Mais son trésor le plus secret s’appelle « vin gris », cette tradition colorée d’un souffle rose saumoné, vinifiée en pressurage direct. Contrairement aux rosés classiques, la légèreté et la tension se disputent chaque gorgée. Le Pacte de 2014 acte la volonté de protéger ces méthodes et ces profils uniques, à l’heure où le marché demande de l’identitaire.
Les sols de sable sur graves, ponctués de quartz et cailloutis, offrent une maturation lente et préservent l’acidité, permettant de donner naissance à des vins digestes, vibrants, loin des standards internationales. Les parcelles s’étirent entre 200 et 300 mètres d’altitude – un détail qui influe sur la fraîcheur et la vigueur des jus. La mosaïque de parcelles, héritée de la petite propriété, est typique des paysages berrichons.
Ce pacte, loin d’être anecdotique, répond à des urgences criantes en 2014 :
La nécessité d’un électrochoc se fait sentir : relancer des investissements en communication, accompagner la montée en gamme, rendre à Châteaumeillant une identité singulière face à la montée en puissance des rosés d’Anjou ou de Provence.
Les effets concrets du pacte se constatent dès 2015 :
Bien sûr, tout ne se fait pas en un claquement de doigts. La dynamique reste fragile : entre 2014 et 2019, le nombre de viticulteurs passe de 22 à 18, preuve que la transition génère des tensions mais aussi des mutations (Données INAO, Annuaire 2019).
Le travail sur la traçabilité et la qualité porte cependant ses fruits. En 2017, la revue La Revue du Vin de France salue « une montée remarquable du niveau général du Châteaumeillant Gris » (n°613, avril 2017), soulignant la fraîcheur retrouvée et la capacité à fédérer des producteurs autour d’un style lisible. En 2018, la médaille d’or du Concours Général Agricole (cuvée Vincent Crouteau, source : CGA Paris) résonne comme la reconnaissance d’un travail collectif engagé quatre ans plus tôt.
Châteaumeillant continue de marcher sur une ligne de crête. Le pacte de 2014, tout en étant un acte fondateur, n’a pas réglé tous les défis :
Martine. S, vigneronne installée depuis 1998, témoigne lors du bilan quinquennal : « Le pacte nous a donné une discipline collective et une écoute nouvelle, ce qu’on n’avait jamais eu. Mais il reste à faire découvrir nos vins autrement que comme curiosité régionale ». D’autres soulignent l’importance de la solidarité nouée entre exploitations face à un marché volatil et à la contrainte administrative toujours complexe.
En 2014, le « Pacte pour le vin à Châteaumeillant » a constitué un tournant décisif dans l’histoire viticole locale. Il n’a pas suffi à transformer du jour au lendemain un vignoble fragile en région phare, mais a donné l’exemple d’une réponse collective, rigoureuse et imaginative face aux risques de l’effacement. A l’heure où la diversité des terroirs ligériens s’impose comme une richesse inestimable, Châteaumeillant rappelle que rien n’est gagné sans mobilisation, ni sans la patience des gestes réinventés chaque année.
La signature de ce pacte n’est pas seulement une date dans l’agenda du Berry viticole : elle demeure le symbole d’un pari sur la durée, où chaque millésime apporte son chapitre à la grande histoire d’un vin singulier — bien décidée à ne plus rester dans l’ombre.