Philippe Tessier à Cheverny : l’exigence tranquille d’un vigneron ligérien hors-norme

11 juin 2025

Cheverny, entre Loire et Sologne : écrin et singularité

Sur la carte, Cheverny apparaît comme une enclave discrète : à peine 700 hectares, adossée à la Sologne, oscillant entre vignes, forêts et étangs. Pour beaucoup, l’appellation évoque d’abord son château de bande dessinée – mais pour les amateurs éclairés, elle brille par sa mosaïque de sols sableux, d’argiles et de sables sur pierres siliceuses, qui offrent au vin une pureté singulière, souvent mésestimée à l’échelle du Val de Loire (source : Interloire).

Au cœur de ce terroir où se croisent Sauvignon, Chardonnay et Gamay, une silhouette s’est imposée au fil des trois dernières décennies : celle de Philippe Tessier. Fils de Raymond – qui fut l’un des précurseurs de l’appellation Cheverny –, Philippe a su, par une pratique sans concession et une vision finement articulée, relancer l’intérêt pour la région au tournant des années 2000.

L’exigence d’un style à part

Définir Philippe Tessier dans le paysage ligérien, c’est d’abord embrasser l’histoire d’un style : une manière de vinifier où la quête d’équilibre, de droiture et de netteté n’a jamais dévié. Chez Tessier, pas de recherches tapageuses ni d’effets de mode : les vins expriment l’évidence des terroirs, tendus, précis, lumineux, avec cette juste maturité qui fuit le soleil syncopé des derniers millésimes ligériens.

  • Une approche biologique et biodynamique : Si Philippe Tessier revendique la simplicité, son engagement vers la viticulture biologique dès 1998, puis la certification en 2002 (Ecocert), positionne le domaine parmi les pionniers du secteur sur Cheverny. En 2004, il rejoint les rangs de Biodyvin, convaincu qu’« il n’y a d’expression du terroir que si l’on respecte le vivant ». Les vignes sont menées en biodynamie, avec préparations, tisanes et composts maison.
  • Des rendements naturellement maîtrisés : Philippe Tessier n’hésite jamais à sacrifier du volume pour favoriser la concentration et l’équilibre. Les rendements oscillent entre 30 et 48 hL/ha — contre 60 hL/ha pour la moyenne de l’AOC Cheverny (source : INAO).
  • Des sols labourés, vivants : Refus du désherbage chimique, travail mécanique du sol, enherbement naturel, tout concourt à préserver la dynamique biologique intime de la parcelle. Philippe aime à rappeler que « le vin naît d’abord à la parcelle, pas au chai ».

L’art des assemblages et de la franchise ligérienne

Le domaine Tessier incarne une qualité rarement assez soulignée du vignoble ligérien : l’art de l’assemblage. Dans les blancs, Sauvignon (majoritaire mais rarement médian), Chardonnay, Menu Pineau et l’insolite Orbois (ou Arbois, cépage historique de la Loire centrale) s’invitent selon la mosaïque des parcelles.

Au château des Gamay francs et Pinot noir énoncent, dans les rouges, une partition sans esbroufe. Philippe Tessier cultive des vins où chaque cépage, chaque millésime trouve naturellement sa voix :

  • Ses blancs de Cheverny (principalement la cuvée « Les Sables ») expriment une fraîcheur incisive, sur des notes de fleurs blanches, d’agrumes, de poire, rehaussée parfois d’un trait fumé dû à certaines argiles ferrugineuses du secteur de Cellettes.
  • Les rouges oscillent entre Gamay fringant, Pinot noir gracile et touche feutrée de Côt. Toujours sur la retenue, loin de tout effet capiteux.
  • La cuvée « La Charbonnerie » — parcellaire élevé sur des cailloutis de silex, souvent sur le fil, droit comme un trait de plume.

Dans la pratique œnologique, la philosophie du domaine se traduit par des fermentations naturelles, aucun intrant à l’exception – parfois – d’une faible dose de soufre à la mise. Aucune filtration systématique, des élevages sur lies, le respect du calendrier lunaire pour la mise en bouteille.

Ce soin porté à la précision s’accompagne d’une rare honnêteté. En années difficiles (2012, 2021), il lui arrive de ne pas assembler certaines cuvées, jugeant que « le vin ne parlait pas ». Chez Tessier, l’exigence prend le pas sur l’exubérance – et sur les envies de marché.

Tessier, trait d’union du renouveau ligérien

Difficile de parler de Philippe Tessier sans évoquer son influence sur l’évolution du paysage ligérien, du côté des vignerons comme du public.

Un mentor reconnu par ses pairs

  • Un précurseur des pratiques respectueuses : Lorsqu’il bascule en bio à la fin des années 1990, Tessier reste un des seuls du secteur avec François Cazin, autre figure de Cheverny, à défendre une vision du vin vivant, longtemps marginalisée localement (source : RVF, 2017). Plusieurs domaines en Val de Loire – notamment en Montlouis, dans les Coteaux du Vendômois ou en Touraine – revendiquent aujourd’hui avoir été inspirés par ses choix.
  • Un formateur et modèle pour la nouvelle génération : De nombreux jeunes vignerons de Cheverny et de Sologne ont fait leurs classes chez Tessier, citant sa rigueur et sa générosité. Nicolas Tessier, son fils, œuvre aujourd’hui à ses côtés, prolongeant la dynamique familiale avec sa propre sensibilité.
  • Une appartenance active au collectif ligérien : Membre actif des vignerons indépendants du Val de Loire, Philippe Tessier a participé à la mise en place de journées portes ouvertes, conférences et formation pour les métiers du vin. Il fut aussi partie prenante de mouvements collectifs comme Renaissance des Appellations ou Les Vins S.A.I.N.S.

Ambassadeur discret du vin ligérien à l’international

Si le domaine Tessier écoule aujourd’hui ses 22 hectares sur les cinq continents (Europe, Amérique du Nord, Japon, Australie), l’identité ligérienne n’a jamais été diluée dans l’uniformité mondialisée. Les vins portent un accent, une minéralité, une souplesse que beaucoup reconnaissent comme typiquement « ligérienne » : une tension claire et droite, loin des puissances solaires du Sud ou de la lourdeur qui menace parfois les blancs d’ailleurs (source : Le Rouge & le Blanc, 2021).

Il n’est pas rare de croiser, aux salons professionnels internationaux, un restaurateur danois vantant la franchise d’un Cheverny blanc de Tessier ou un sommelier de New York évoquant ce vin comme « le village blanc idéal d’un village ligérien ».

Cette image d’authenticité, Philippe Tessier la cultive sans jamais la vendre : il ne fait pas de grandes déclarations, fuit les modes des packaging aguicheurs, et préfère prendre le temps d’expliquer à chacun — professionnel ou visiteur de cave — la singularité de ses terroirs.

Un vigneron, des vins : reconnaissance et échos

Les distinctions obtenues par le domaine (Guide Bettane + Desseauve, Revue du Vin de France, etc.) sont certes nombreuses, mais Philippe Tessier demeure farouchement attaché à la reconnaissance de ses pairs et de ses clients, plus qu’aux lauriers médiatiques.

  • Élu « Vigneron de l’année » pour la Loire au Guide Vert RVF 2021.
  • Cinq étoiles dans la dernière édition du guide Bettane + Desseauve : « Des vins droits et lumineux, un style cohérent, inscrit dans la continuité ligérienne. »
  • Mention régulière de la cuvée « La Charbonnerie » parmi les plus grandes réussites de l’appellation Cheverny.

Le prix moyen des vins Tessier reste contenu (de 10 € à 18 € domaine au printemps 2024), ce qui rend l’accès à ces expressions de terroir tout à fait ouvert — une rareté dans le contexte du renchérissement général des cuvées phares du Val de Loire (source : Guide Hachette, 2023-24).

Les amateurs de fraîcheur et de verticalité plébiscitent, millésime après millésime, des vins qui ne cherchent pas la puissance ou le gras, mais révèlent : tension, finesse, digestibilité.

Perspectives et héritage : la Loire en mouvement

Philippe Tessier incarne à sa manière une Loire éternellement en mouvement : fidèle à ses sols, lucidement à l’écoute de la nature, porte-voix discret mais fédérateur d’une nouvelle génération attentive au patient travail de la vigne.

Cette exigence, mêlée d’humilité, irrigue aujourd’hui tout le vignoble ligérien : de nombreux vignerons, même hors de Cheverny, citent l’exemple Tessier comme un repère pour penser autrement la relation à la terre et au vin — sans dogmatisme, mais avec rigueur et intuition.

Au fil des saisons, la Loire, elle aussi, se renouvelle. Elle charrie dans ses méandres des histoires de transmission, de bottes à même la vase, de mains tâchées par la taille, d’espoir, de givre et de patience. On pourrait dire que, tout simplement, la place de Philippe Tessier dans le paysage ligérien, c’est celle d’un vigneron qui rappelle que la lumière la plus précieuse est celle, sincère, émise par l’intérieur du vin — et de l’homme qui le fait.

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